La substance sous divers angles
Substance matériau abstrait de matière et d’esprit
(étendue, pensée, forme
ou poids)
Substance spirituelle ou matérielle contient l’idée d’un être vraiment réel par opposition au
flux des choses changeantes.
Avec Spinoza, la substance
devient la chose en soi et par soi dont le concept ne dépend d’aucun autre.Il n'y a qu'une seule substance que Spinoza appelle
Dieu ou Nature. Si la substance est première, indéterminée, éternelle et
immanente, il s’agit bien de Dieu. Si la substance est sans attribut, seul Dieu
est sans attribut, Dieu et la substance sont identiques.
Résoudre le problème cartésien de l’âme et du corps
est alors aisé : il suffit de considérer que la substance se présente à
l’homme sous deux attributs. « Les attributs sont ce que l’entendement
humain perçoit de cette substance comme constituant son essence »
Selon Leibniz, il existe une infinité de substances.
Pour Kant, la substance, qui est l’idée de la permanence dans le temps, doit être considérée comme une catégorie du jugement. La catégorie de substance ne doit pas être attribuée à l’être « en soi » auquel nous n'avons pas accès.
Pour le matérialisme, à la fin du XIXe siècle, le monde est formé d’une seule substance inaltérable dans sa masse susceptible d’être mue par des forces. Elle peut être ramenée à des unités élémentaires, les atomes. Les atomes, « en tant qu’ils constituent l’étant inaltérable proprement dit, se meuvent dans l’espace et dans le temps et provoquent par leur disposition et leurs mouvements réciproques les phénomènes variés de notre univers sensible »
Pr. Paulsen de Berlin qui, en 1896, écrit : « Le concept de substance prend naissance dans le monde corporel, où il a un sens déterminé, acceptable : les atomes sont le substratum absolument permanent, quantitativement et qualitativement immuable, du monde matériel »
Critique de la substance
Nous percevons des qualités, par exemple solide, fluide, visqueux, fuligineux, invisible. Au-delà de l’invisible, on trouve l’impalpable sans étendue et sans consistance. Dans notre perception ordinaire, d’évidence, nous avons un corps palpable, et il est donc de substance matérielle et d’évidence, nous avons un esprit impalpable, il est donc de substance spirituelle. Ce schéma de pensée est repris sous différents vocabulaires, ce qui ne change rien sur le fond.
le phénomène est un tissu de relations.
la substance est une contexture d'attributs.
Bachelard: un électron ne peut être considéré comme un corps substantiel dont l'attribut serait une charge négative. Il note que les transformations chimiques ne sont guère compatibles avec l'idée d'une stabilité de la substance.
L’usage ontologique
l’être est substance qui est esprit ou matière ou les deux (ce qui donne les trois options métaphysiques les plus répandues : spiritualisme, matérialisme, dualisme).
La tendance générale est d’aller vers une unique substance constitutive du monde. Cette substance serait primitive, elle n’a pas été créée (c’est l’immanence de la substance), elle serait par elle-même et sans cause. Or, c’est tout simplement l’existence du monde qui est définie là. Si on y ajoute les idées d’infini, d’éternité et de perfection, c’est Dieu.
La substance pousse à imaginer un absolu immanent dont on ne peut pas dire qu’il soit très convaincant.
Penser sans la substance
En physique, la mécanique quantique contredit l'idée d'une quantité de substance localisable dans l'espace-temps et ayant des propriétés intrinsèques. Le réel physique peut être vu, non comme une substance, mais plutôt comme comme « un réseau de relations concrètes entre des objets qui ne possèdent pas d'identité intrinsèque » dit Michael Esfeld (Esfeld M., Philosophie des sciences, Lausanne, Presses polytechniques et universitaires Romandes, 2009, p. 152-153.).
Lorsqu'il part "à la recherche du réel", Bernard d'Espagnat suggère que si la science réussit à expliquer la réalité avec constance, on puisse l'attribuer "à l'existence d'une réalité indépendante, structurée, dont les structures auraient précisément pour conséquence cette réussite" (d'Espagnat B., À la recherche du réel, Paris, Bordas, 1981, p. 15.). Ces différents auteurs ont déplacé le curseur ontologique de la substance vers la relation et l'interaction, les formes organisées, en tant qu'elles se stabilisent et sont identifiables (ce qui est nommé structure).
Pour Gilbert Simondon, "Comme nous ne pouvons appréhender la réalité que par ses manifestations, c'est-à-dire lorsqu'elle change, nous ne percevons que les aspects complémentaires extrêmes ; mais ce sont les dimensions du réel plutôt que le réel que nous percevons ; nous saisissons sa chronologie et sa topologie d'individuation sans pouvoir saisir le réel préindividuel qui sous-tend cette transformation" (Simondon G. , L'individuation à la lumière des notions de forme et d'information, Grenoble, Jérôme Millon, 2005, p.150-151). L'ontologie génétique de Simondon peut s'interpréter comme un émergentisme anti-substantialiste.
Quant à Ernest Nagel, il affirme que « la variété manifeste des choses, de leurs fonctions et de leurs qualités sont un caractère irréductible du cosmos et non une apparence trompeuse qui dissimulerait quelque réalité ultime ou substance transempirique plus homogène » (Naturalism Reconsidered, 1954).
Une substance inutile
Le débat sur la substance dans la modernité a opposé les partisans de la substance globale ou qualifiée. Les plus prudents en ont fait une catégorie neutre (la forme persistante de l’être) assortie d’une clause agnostique, et enfin, les opposants la dénoncent comme une illusion métaphysique inutile.
La métaphysique substantialiste qui persiste de la naissance de la modernité jusqu’à l’époque contemporaine a une influence philosophique et scientifique non négligeable. La tentative d’y échapper par l’adoption d’un point de vue purement empirique est une voie possible, mais elle est constamment débordée par le retour du substantialisme.
L’idée de substance note une indépendance du monde, ce qui est tout à fait recevable et utile. Elle présente plusieurs inconvénients. Celui de déclarer une permanence, une solidité, une stabilité, voire une éternité et une unité dont on n’a aucune preuve. La permanence supposée de la substance exclut les changements, ce qui conduit vers un monde figé. Or, les connaissances actuelles montrent que, s’il y a une certaine permanence dans l’Univers, elle est sujette à changements. De plus, problème non négligeable, la notion est souvent rattrapée par son origine empirique, ce qui en fait une sorte de matériau ultime (d’une sorte ou d’une autre, peu importe).
Affirmer une ou des substances, c’est porter un jugement ontologique définissant de ce qui est. La substance est l’être spécifié comme étant d’une certaine sorte. Par là, c’est un jugement métaphysique, car il dépasse ce qu’il est possible de démontrer. Que l’existence du monde soit qualifiée de substance (déclarée substantielle) est contradictoire avec la définition même de la substance comme sujet premier. Nous en conclurons qu’il semble inutile d’ajouter une substance à l’affirmation d’existence. Admettre l’existence du monde suffit amplement sans avoir à la déclarer substantielle ; attitude qui a pour intérêt de laisser la porte ouverte pour d’autres hypothèses sur les formes possibles du réel.
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